Par Steve Pomeroy
Au cours des dernières années, un grand nombre de villes canadiennes ont vu une importante inflation du prix des propriétés, soulevant des inquiétudes quant à la possibilité des jeunes acheteurs de devenir propriétaires à leur tour.
Actuellement, certains débats existent selon lesquels ceci provient d’un manque d’offre ou le résultat d’une demande excessive. Bien entendu, ces deux hypothèses contribuent au phénomène, mais il est toutefois important de mieux comprendre leur influence respective avant de pouvoir commencer à identifier des solutions possibles. Voici le dernier d’une série de trois blogues cherchant à explorer ces questions. La première partie a examiné les arguments en faveur d’une offre insuffisante. La deuxième partie a examiné le rôle de la demande et la nature de cette dernière. Enfin, cette troisième partie termine la série avec une discussion sur des options de politiques à élaborer.
3e partie : explorer des solutions
La première partie a souligné les tendances dans la construction de nouvelles habitations par rapport à la croissance des ménages. On y a présenté des preuves démontrant que l’insuffisance de l’offre n’était pas la principale cause de l’escalade du prix des propriétés ; quoiqu’il existe peut-être un manque d’offre dans certains cas isolés. Cela suggère aussi que l’élément significatif n’est pas la quantité de l’offre mais bien la nature de cette dernière. Les types d’habitation requis ne sont pas nécessairement bâtis aux endroits ni aux prix les plus appropriés.
Dans un système de marché, ce dernier peut bel et bien créer des logements pour beaucoup de gens. Toutefois, le marché ne peut pas en produire si la demande réelle n’est pas concrètement exprimée. Il y a ici un rôle essentiel que le gouvernement peut jouer pour combler le marché, en investissant directement dans la production de logements pour des segments clés, y compris les groupes vulnérables, qui manquent de capacité budgétaire et subissent de la discrimination dans le marché.
Plutôt que de créer un stimulus général d’offre, ce qui n’améliorera pas nécessairement l’accessibilité financière, le Canada peut aborder le problème de pénuries d’offre affirmées en investissant directement pour augmenter l’offre là où le marché n’y subvient pas. L’investissement de fonds publics devrait être employé pour bâtir des programmes de logements supervisés permanents qui permettent aux personnes vivant avec des troubles de santé mentale et des dépendances, ainsi que celles qui sont sans abri, de trouver un logement abordable afin de recevoir le soutien et les traitements nécessaires.
Une autre priorité devrait consister à investir dans la construction de logements locatifs abordables, sans but lucratif, pour abriter les groupes qui sont confrontés à des problèmes d’accessibilité financière et qui font face à de la discrimination. Face à tant de barrières, ces groupes n’arrivent pas à obtenir un logement à loyer modique dans le stock existant. En outre, pour beaucoup de locataires à faible revenu qui sont vulnérables face aux hausses de loyer excessives, un investissement qui permettrait aux organismes à but non lucratif d’acquérir des actifs locatifs existants peut contribuer directement à réduire les inquiétudes envers l’accessibilité financière et le risque que ces stocks ne s’effritent sous la pression de la « financialisation ». Ce terme fait référence à l'acquisition, par des fonds de capital et des sociétés de placement immobilier, de propriétés existantes à loyer modéré dans le but d'en augmenter les loyers et les rendements.
Dans la deuxième partie, nous avons souligné la question de la qualité de la demande (la haute capacité à payer et à surenchérir sur le prix des propriétés de la part d’un nombre restreint d’acheteurs dont le pouvoir d’achat est suralimenté ). On y suggérait qu’il fallait contenir ou supprimer cette capacité excessive de la demande, qu’entraînent les faibles taux hypothécaires et l’appréciation cumulée.
Ceci soulève la question de savoir si des taux hypothécaires plus élevés pourraient aider à supprimer ou ralentir les hausses de prix (comme il s’est produit dans les années 1980). Des données récentes sur l’inflation, si la tendance se poursuit, pourraient entraîner une hausse des taux d’intérêt et hypothécaires. Cela pourrait avoir un certain impact sur la suppression de l’excessive capacité à payer.
L’accès à du capital à faible coût est important pour stimuler l’investissement dans l’économie, ainsi que pour contribuer à l’emploi et à la productivité. Donc, augmenter les taux d’intérêt en général produit de nombreux effets indésirables. Mais peut-on séparer les taux d’intérêt hypothécaires des taux d’intérêt de l’économie générale ? En fait, il existe un précédent.
Dans les années 1950, les principaux fournisseurs de financement hypothécaire consistaient en prêteurs institutionnels, notamment les compagnies d’assurance vie. En plus du gouvernement à proprement dit, la SCHL fournissait une grande partie du financement hypothécaire pour favoriser l’achat d’une propriété, tout cela à des taux fixes sur 25 ans. Jusqu’en 1954, les banques à charte canadiennes ne s’occupaient pas du tout des hypothèques résidentielles, coïncidant avec l’application de l'assurance publique contre le défaut de paiement des prêts hypothécaires par la SCHL, comme l'autorise la Loi nationale sur l'habitation (LNH). Parallèlement à l’assurance hypothèque, et en contrepartie de celle-ci, la réglementation fédérale fixait le taux d'intérêt autorisé pour les prêts assurés par la LNH. Cette restriction a été levée en 1969. [1].
En 1969, des changements législatifs ont introduit des hypothèques à plus court-terme. L’expansion des prêts hypothécaires par les banques à charte a été favorisée par des changements apportés à la Loi sur l’intérêt et les nouvelles règles de la LNH de 1967 qui ont éliminé le plafond existant sur les taux d’intérêt dans le cadre des prêts assurés. Le taux auquel les banques à charte pouvaient prêter avait été plafonné à 6 %. Entre-temps, le taux d’intérêt pour les prêts non résidentiels était supérieur et plus attrayant, tandis que le coût du capital les empêchait de participer aux prêts hypothécaires aux taux prescrits. Une fois le plafond éliminé, les prêts provenant des banques à charte ont augmenté de façon significative, soit de moins d’un milliard de dollars en 1967 à près de 20 milliards de dollars en 1980. La réglementation de la LNH a également étendu le pouvoir de prêt aux habitations existantes, et non plus seulement aux nouvelles propriétés (Goldberg 1983).
En résumé, les règles fédérales sur les activités de prêts hypothécaires ont grandement influencé l’offre de fonds, l’accès au crédit et, en fin de compte, la trajectoire des prix des propriétés. À tout le moins, avant que ces hausses ne soient freinées par des taux hypothécaires excessivement élevés, qui d’ailleurs se chiffraient à plus de 20 % en 1980 (sur une durée de 5 ans).
Si des mesures réglementaires ont déjà été employées pour élargir l’accès au crédit dans les années 1960, ne peuvent-elles pas être utilisées aujourd’hui pour le réprimer et en réduire les coûts ? Le gouvernement fédéral peut-il réglementer un taux d’emprunt hypothécaire minimal pour l’achat d’habitations existantes chez les prêteurs à charte fédérale ? Des taux si élevés réduiraient la capacité d’effet de levier des ménages (bien que dans un marché concurrentiel, comme nous l'avons vu avec les tests de résistance, les sources de prêt qui ne sont pas réglementées par le gouvernement fédéral peuvent intensifier leurs activités).
Du coup, on pourrait permettre aux accédants à la propriété de se prévaloir, par l’entremise d’une exception explicite, du taux hypothécaire minimum comme il est offert aux propriétaires existants. On devrait explorer une telle approche réglementaire et la concevoir dans le but de réprimer un effet de levier excessif tout en permettant aux accédants, qui n’ont pas encore eu la chance d’accumuler des capitaux propres, d’entrer dans le marché immobilier. [2]
On a également souligné que les prix élevés sont favorisés par la possibilité de mises de fonds considérables, surtout dans les marchés plus coûteux de Vancouver et Toronto. Cela va de pair avec la baisse des ratios prêt/valeur, qui est facilitée par l’appréciation cumulée sur les propriétés existantes (c’est-à dire les gains exceptionnels non gagnés).
La proposition de réduire l’effet de levier financier au moyen de taux hypothécaires plus élevés sur les prêts assurés pourrait être compensée par le fait que les acheteurs récurrents se servent d’un financement d’emprunt moindre et puisent dans leurs importantes contributions en capital pour l'achat de leur maison. Pour éviter cette solution de contournement, il serait nécessaire de réduire la capacité des capitaux propres. Cela signifie qu’il faudrait confisquer une partie de l’appréciation sur les capitaux propres – qui est, en soi, un gain exceptionnel non gagné pour le propriétaire existant.
L’une des approches controversées serait d’éliminer l’exception sur la plus-value de la résidence principale. Cela imposerait une portion (la moitié de la plus-value multipliée par le taux d’imposition marginal du ménage) du gain, ce qui laisserait un montant de capitaux propres nets réduit pour alimenter le prochain achat. Beaucoup de gens considèrent qu’une telle politique fiscale constituerait un suicide politique étant donné que les deux-tiers des électeurs sont des propriétaires existants, ainsi que le sont la plupart des politiciens. Des sondages récents suggèrent aussi que moins du tiers des Canadiens appuient ce type d’impôt. .[3]
Il faut toutefois noter que ce traitement fiscal n’a pas toujours existé. On l’a seulement mis en œuvre dans le cadre d’une réforme fiscale plus large en 1972. On pourrait soutenir que son introduction est l’un des facteurs qui a contribué au concept des propriétés à titre d’investissement. La démarchandisation des habitations requiert une nouvelle considération du traitement fiscal actuel.
On pourrait atténuer l’opposition face à l’imposition de ces gains exceptionnels en appliquant des droits acquis à un certain niveau de plus-value, par exemple une exemption à vie prescrite. D’autres pays, y compris le R.-U. et les É.-U. ont graduellement réduit les bénéfices pour les propriétaires comme le seuil de déduction de l’intérêt hypothécaire. De telles réformes ne sont donc pas sans précédent.
Plutôt que de bouleverser la politique fiscale sur la plus-value, on pourrait aussi instaurer une simple taxe sur le transfert de propriété à l'encontre du vendeur (actuellement, au niveau provincial, une taxe de transfert est facturée à l'acheteur - ce qui a un impact négatif supplémentaire sur les accédants, tandis que le vendeur conserve la totalité du gain inattendu). Remplacer et étendre cette taxe par une taxe de vente prélevée sur le vendeur serait à la fois plus équitable (payée par le produit de la vente) et plus efficace (en réduisant la capacité à faire monter les prix).
Le taux d’imposition doit être suffisamment élevé pour pouvoir confisquer une portion significative de la plus-value, puisqu’il s’agit de l’élément qui alimente la capacité d’achat à des prix élevés et qui exacerbe les prix excessifs des habitations.
Il s’agit en effet de propositions assez controversées. Mais si on accepte le fait que les habitations sont un besoin de base et un droit (tel que cela a été adopté par les lois fédérales en 2019) et que l’on priorise le concept du foyer plutôt qu’une maison comme étant un investissement, on doit explorer ces types de politiques, qui sont certes fondamentales et controversées.
Si aucune action drastique n’est prise pour freiner les impacts sur ce côté de la demande, il est très improbable que les efforts pour accélérer et élargir l’offre pourront ralentir la hausse des prix ou les stagner, tout en améliorant l’accès financier et les chances des accédants à la propriété. Les parents et les grands-parents qui se plaignent que leurs enfants seront incapables de devenir propriétaires constituent en fait un obstacle à une réforme sérieuse. Ils peuvent aider à créer un meilleur avenir pour leurs enfants, mais seulement s’ils renoncent à leurs propres gains exceptionnels.
Pour que le système de logement puisse offrir un abri de base à tous, il faut démarchandiser les habitations et les considérer comme étant un bien de nécessité et un droit.
[1] On en décrit les détails dans Goldberg, Michael (1983). The Housing Problem: A Real Crisis, UBC Press
[2] Bien qu’il soit désirable de supprimer une demande excessive, il est parallèlement nécessaire de permettre aux accédants à la propriété d’acheter. Contraindre leur capacité d’achat produit une demande excessive dans le secteur locatif et empire les problèmes d’accès financier pour les loyers.
[3] On peut trouver les résultats des sondages au : https://static1.squarespace.com/static/5a17333eb0786935ac112523/t/612fed1a57191e25f6b8d2c9/1630530843424/Rising+Tax+Concerns.pdf
Je pense que la phrase clé de cette analyse de la partie 3 :
" Les types de logements requis ne sont pas construits aux bons endroits et aux bons prix ".
Je pense que des mesures comme le " zonage inclusif " ou d'autres formes de " capture de la valeur " sont des mesures importantes pour atteindre la phrase clé ci-dessus. D'autres mesures de la Stratégie nationale du logement visent le même objectif, je pense, bien que vous ayez habilement démontré (dans une autre de vos publications) que la notion d'" abordabilité " poursuivie par l'Initiative de financement de la construction de logements locatifs vise plus clairement les ménages à revenu moyen... même si je soutiens qu'il est nécessaire de fournir davantage de logements pour la classe moyenne et la classe moyenne inférieure également.
Dans l'ensemble, je pense que " globalement ", l'offre de logements supplémentaires doit faire la différence. Cela peut prendre du temps, comme vous le suggérez, mais c'est la nature même des marchés du logement.
En attendant, je suis d'accord avec vous pour dire que le chemin le plus court pour répondre à la nécessité de fournir des logements abordables est de soutenir la production de logements abordables par le secteur non lucratif et, si j'ose dire, de logements " sociaux " pour ceux qui se situent en dessous du revenu médian.
Coupe de la capacité des criminels à nettoyer leurs profits sur le marché du logement canadien. Il est clair que ce n'est pas seulement l'aubaine des propriétaires actuels, c'est l'approvisionnement sans fin en argent sale.
Une maison à Toronto vient de se vendre 400 000 dollars de plus que le prix demandé. N'est-il pas évident de comprendre ce qui se passe ?
Pourquoi continuons-nous à verser plus d'argent dans les études.
Il sera trop tard, tout est prêt, c'est trop tard. Le manque de leadership capable de prendre des décisions plutôt que de commander des études après des études est à blâmer.
Et il ne s'agit pas seulement des personnes qui vivent dans la pauvreté, mais aussi de la classe inférieure et moyenne.
Marchez dans le centre-ville de Toronto/Vancouver. Ouvrez les yeux.