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Par Steve Pomeroy

Au cours des dernières années, un grand nombre de villes canadiennes ont vu une importante inflation du prix des propriétés, soulevant des inquiétudes quant à la possibilité des jeunes acheteurs de devenir propriétaires à leur tour.

Actuellement, certains débats existent selon lesquels ceci provient d’un manque d’offre ou le résultat d’une demande excessive. Bien entendu, ces deux hypothèses contribuent au phénomène, mais il est toutefois important de mieux comprendre leur influence respective avant de pouvoir commencer à identifier des solutions possibles. Ce blogue est le deuxième d’une série de trois cherchant à explorer ces questions. Le premier blogue a examiné les arguments en faveur d’une offre insuffisante; ainsi, ce deuxième blogue examine le rôle de la demande et la nature de cette dernière. Le troisième blogue termine la série par une discussion sur des options de politiques à élaborer.

2e partie : Comment la demande fait grimper les prix

La première partie visait à dissiper le mythe selon lequel la principale cause de la flambée des prix des propriétés au Canada est l'insuffisance de l'offre. Ici, on examinera le côté de la demande et le scénario de l’escalade des prix par rapport à la capacité des ménages à acheter des propriétés. Cette analyse examine à quel point le déclin des taux hypothécaires et leurs faibles niveaux combinés aux revenus de la classe moyenne supérieure et les fortes accumulations de capitaux propres ont créé un pouvoir d’achat suralimenté, et c’est principalement cela qui fait augmenter le coût des habitations.

Le phénomène de la hausse du prix des propriétés existe dans tous les grands centres, bien que la tendance soit plus prononcée dans certains, et en particulier dans les grandes régions métropolitaines de Toronto et de Vancouver. Puisque ce phénomène se produit à grande échelle, cela suggère qu’il y a des causes communes au pays. Ces dernières reflètent les principes fondamentaux suivants : combien et quel type de ménages cherchent à acheter, quels sont leurs revenus et quelle est leur capacité à supporter les charges de remboursement d’un prêt hypothécaire.

Depuis les 20 dernières années, les taux d’intérêt hypothécaires ont subi une baisse constante, ce qui a ouvert la porte aux ménages dont le revenu augmente (graphique 1).

La tendance de la hausse des prix est indiquée selon une échelle nationale cumulée, en employant les prix des propriétés de MLS par rapport à une capacité d’effet de levier accrue (graphique 2). Autrement dit, quel est le montant de l’hypothèque que le couple en ménage médian (les principaux acheteurs) peut se permettre au taux d’intérêt en vigueur et en fonction de son revenu actuel.

En se servant de données nationales cumulées (on examinera les détails selon certaines villes plus bas), le graphique 2 indique que jusqu’en 2021, la capacité d’emprunt hypothécaire potentielle surpassait le coût d’habitation médian. Cela suggère, qu’en moyenne, il existe une bonne concordance entre les prix et la capacité à payer, parmi les familles disposant d’un revenu médian (et un grand nombre d’acheteurs pourraient se trouver au-dessus du revenu médian et ainsi avoir un meilleur pouvoir d’achat).

Ceci ne reflète que la capacité d’emprunt hypothécaire ; si l’on ajoute les montants de la mise de fonds, dont on discutera plus bas, le niveau de prix abordable augmenterait, surtout dans le cas des acheteurs qui déménagent en apportant leur capital accumulé.

Comme l'implique cette dernière affirmation, il est également important, dans le cadre de cette analyse, de considérer qui sont les acheteurs. Moins d'un tiers d'entre eux sont des primo-accédants (FTB)[2]; plus de deux tiers sont des acheteurs récurrents ou des acheteurs d'un nouveau logement qui ont accumulé des fonds propres provenant d'un bien existant pour contribuer à l'achat. Et certains d'entre eux sont des investisseurs, qui tirent également parti de leurs actifs existants.

Si l'on fait abstraction des investisseurs, la grande majorité des acheteurs sont des ménages à deux revenus. Il est donc plus pertinent d'utiliser les revenus des familles à deux revenus. [3] Il est également utile de quantifier la nature des prix de vente récents. Il y a un peu plus de 14 millions de ménages au Canada (et un peu moins de 10 millions sont déjà propriétaires) ; les ventes de maisons au cours d'une année donnée (y compris les maisons existantes du MLS et les maisons neuves de la SCHL) ont été en moyenne d'environ 700 000 par an au cours des dernières années.

Donc, au cours d’une année donnée, il n’y a que 5 % des ménages qui sont actifs et responsables des résultats du marché. En outre, seulement le quart de tous les acheteurs et 1 % de tous les ménages sont des accédants à la propriété. Ce nombre relativement restreint de participants au marché est composé de personnes à revenu élevé (en particulier des familles à deux revenus) et de personnes ayant accumulé des fonds propres, un gain inattendu dû à la hausse des prix des propriétés.

En fait, c’est ce petit nombre de ménages qui est responsable de l’activité dans le marché de la revente de maisons. Il s’agit principalement de propriétaires existants (rappelons-nous que moins du tiers ou 200 000 sont des accédants) qui gagnent deux bons salaires et possèdent des fonds propres considérables. Étant donné ces types de revenus et de fonds propres, ce petit groupe d’acheteurs « suralimentés » exerce une grande influence sur la trajectoire du prix des propriétés, tandis que bien d’autres personnes n’ont ni le niveau de revenu ni les fonds propres pour participer au marché.

Ce n’est donc pas la quantité d’acheteurs (p. ex. la demande globale, provenant de la croissance des ménages et de l’immigration), mais la qualité (les revenus et le patrimoine, aidés par de faibles taux hypothécaires) de cet infime segment de « teneurs de marché » qui a fait monter le prix des propriétés.

Les investisseurs, quant à eux, font aussi partie de ce segment, et les activités de spéculation s’accélèrent dans les périodes de fortes marges bénéficiaires, ce qui amplifie la tendance à la hausse des prix.

Si les décideurs politiques souhaitent s'attaquer aux augmentations excessives des prix, ils doivent cibler ce petit groupe identifiable de « teneurs de marché suralimentés » et introduire des contraintes appropriées sur leur capacité à diriger le marché.

Avant de discuter des implications politiques et des options pour aborder ce problème, on présente une analyse de la demande sur un échantillon de villes pour démontrer ce qui se passe dans certains marchés, bien qu’il puisse exister d’autres facteurs à Vancouver et dans la région du Grand Toronto.

On observe une tendance parallèle à l'augmentation des prix (tableau 3) et à l'augmentation de l'effet de levier (tableau 4, effet de levier hypothécaire potentiel) dans la plupart des villes[4]. [Les villes où le revenu médian des couples est plus élevé, par exemple Ottawa, ont le plus grand impact sur l'effet de levier, et de façon contre-intuitive, dans les villes plus chères de Vancouver et Toronto, un revenu médian plus faible réduit la capacité de levier.

En examinant la façon dont ces revenus et les prix interagissent, les graphiques 5 et 6 présentent le prix médian des propriétés en tant que pourcentage de la capacité d’effet de levier pour chaque ville.

Comme on l’a illustré pour l’ensemble du Canada plus tôt, dans plusieurs villes, la capacité à payer (effet de levier hypothécaire) au cours de 15 dernières années a surpassé de beaucoup le prix médian (le prix : le ratio de levier financier est bien en-dessous de 100 % pour les villes dans le graphique 5).

Dans certaines villes, le ratio de levier financier a même baissé (p. ex. l’accès à la propriété est plus abordable pour le ménage médian, voir le graph. 5). À Ottawa, où les revenus médians de couples sont les plus élevés au pays, la qualité de la demande a fait grimper les prix des propriétés, et a été solidifiée par une hausse (hauts niveaux historiques d’immigration, surtout domestique, et comprend des gens qui quittent Toronto). Mais les prix à Ottawa demeurent toujours sous le seuil de 80 % de la capacité, dans le cas de la famille en couple médian, qui est susceptible de les faire grimper encore plus haut, surtout si les revenus continuent de se renforcer et si les taux d’intérêt restent faibles.

Le graphique 6 présente les données les principaux centres urbains de Vancouver et Toronto, ainsi que ceux de leurs villes voisines, soit Victoria et Hamilton, toutes deux ayant reçu les retombées de la demande excessive dans ces deux grandes villes métropolitaines. Ici, l’effet de levier n’est pas à la hauteur du prix médian des propriétés et cela n’est pas un phénomène nouveau. Pendant la période depuis 2005, le ratio prix-levier financier à Vancouver s’est situé bien au-dessus de la capacité à payer et depuis 2016, il est à plus de 150 %. C’est-à-dire que le prix des propriétés est 50 % plus élevé par rapport à ce que le revenu par ménage médian peut se permettre. À Toronto, le cas n’est pas aussi extrême mais le ratio a tout de même dépassé 100 % en 2014 et a atteint plus de 150 % en 2020.

Plus récemment, soit en 2020, Victoria et Hamilton ont aussi dépassé le seuil de 100 %.

Dans chacun de ces cas, le couple en ménage à revenu médian peut s’offrir une propriété au prix médian, mais seulement s’il fait une mise de fonds considérable ; à Vancouver et à Toronto cette mise de fonds correspond au tiers du prix d’achat. Toutefois, comme le suggère la proportion restreinte d’accédants à la propriété, tel qu’il est mentionné plus haut, les acheteurs principaux, qui constituent les moteurs de la trajectoire des prix, sont des acheteurs et investisseurs récurrents et suralimentés. Ils possèdent tous ces fonds propres car, selon le moment de leur entrée initiale sur le marché immobilier local, ils ont profité de la hausse des prix pour réaliser un gain exceptionnel et disposent désormais de fonds propres accumulés substantiels qui leur permettent d'acheter à ces prix beaucoup plus élevés.

Des preuves anecdotiques et certaines statistiques suggèrent que les acheteurs étrangers constituent un facteur plus influent à Vancouver et à Toronto que dans d’autres villes, et tandis que ces derniers recherchent des propriétés à valeur ajoutée, en termes absolus ce type d’acheteur ne représente qu’une fraction de l’ensemble.

Le moteur principal demeure les acheteurs domestiques, ceux qui vendent une propriété de grande valeur (causant des surenchères dans des endroits comme Victoria et Hamilton) ou des acheteurs et investisseurs récurrents locaux qui bénéficient d’une plus-value accumulée.

Implications pour les politiques

Cette analyse affirme que ce n’est pas la quantité d’acheteurs (p. ex. la demande globale, provenant de la croissance des ménages et de l’immigration) qui fait grimper les prix des propriétés, mais bien la qualité (revenus et patrimoines) de ce petit segment de « teneurs de marchés » qui exerce le plus grand impact.

Ce petit segment crée un déséquilibre dans le marché et de grandes difficultés pour les ménages à revenu faible et modeste (y compris les familles monoparentales et les personnes célibataires) et plus particulièrement ceux qui louent un logement et qui n’ont pas profité d’un gain en capital provenant de l’appréciation des propriétés.

Si le problème était qu’il y avait trop d’acheteurs (un excès par rapport à la demande), une augmentation de l’offre constituerait un moyen efficace de ralentir les augmentations de prix. En outre, la hausse des niveaux de migration internationale exige une certaine expansion de l’offre et les données de mises en chantier suggèrent que le marché a déjà commencé à intervenir.

Mais seulement ajouter à l’offre actuelle ne règlera pas le problème que nous avons souligné ici, c’est-à-dire une capacité à payer excessive. Étant donné cette capacité et la demande qui s’y rattache, les constructeurs continuent de bâtir des maisons unifamiliales ou semi-détachées et les évaluent à des niveaux que ce petit segment d’acheteurs peut effectivement se permettre (en tenant compte de deux revenus élevés et des capitaux propres accumulés).

Donc, ajouter des stocks, même en volumes élevés, n’arrêtera pas la montée des prix ni ne les réduira. De plus, accélérer les processus d’approbation municipaux, tel que prôné par un grand nombre de personnes dans le secteur et les plateformes électorales, risque simplement de déplacer la pression ailleurs dans la chaîne d’approvisionnement. Compte tenu des limites de la main d’œuvre, des terrains et des matériaux (p. ex. la hausse rapide du coût du bois d’œuvre), ceci pourrait avoir l’effet non intentionnel d’augmenter les prix et de détériorer l’accessibilité financière. 

Indépendamment de toute intervention au plan de l’offre, l’élément clé est de contenir ou de supprimer cette capacité de demande excessive, qui est alimentée en grande partie par les faibles taux hypothécaires et par l’appréciation accumulée. Nous examinerons ces options dans la troisième partie.


[2] Les données explicites sur la part de ces personnes sont difficiles à obtenir. Toutefois, des données récentes du Programme des statistiques du logement au Canada (PSRC) permettent d'en avoir une idée. Elles identifient le nombre de ménages qui, en 2018, ont demandé le crédit d'impôt pour l'achat d'une maison dans leur déclaration de revenus. Si l'on compare ce nombre aux statistiques de l'ACI sur les ventes totales de maisons (qui peuvent être sous-estimées, car elles excluent les ventes exclusives et les ventes directes par les constructeurs/développeurs) pour le N.-B., l'Ontario et la C.-B., on constate que moins de 30 % des ventes ont été faites à des FTB. Et dans tous les cas, le revenu médian des FTB était plus élevé que celui des propriétaires actuels, ce qui suggère qu'il s'agit principalement de jeunes couples disposant de deux bons revenus (et peut-être d'une aide à la mise de fonds de la part des parents).

l 'échelle nationale, le revenu médian des couples représente 109 % du revenu médian global ; les revenus des ménages monoparentaux et des ménages d'une seule personne sont beaucoup plus faibles, soit 56 % et 34 % respectivement. Cependant, ce sont les couples à deux revenus qui influencent le plus le marché, représentant plus de 80 % de tous les achats (Statistique Canada, CHSP 2019).

[Les prix des maisons dans un certain nombre de villes des Prairies, notamment en Alberta, n'ont pas suivi la tendance des prix, principalement en raison de la faiblesse de la demande à la suite de l'effondrement de l'économie du secteur pétrolier et du renversement de la migration interprovinciale.