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Auteur : Steve Pomeroy

Au cours des dernières années, un grand nombre de villes canadiennes ont vu une importante inflation du prix des habitations, soulevant des inquiétudes quant à la possibilité des jeunes acheteurs de devenir propriétaires à leur tour.

Actuellement, certains débats existent selon lesquels cette situation provient d’une offre insuffisante ou qu’il s’agit du résultat d’une demande excessive. Bien entendu, ces deux hypothèses contribuent au phénomène, mais il est toutefois important de mieux comprendre leur influence respective avant de pouvoir commencer à identifier des solutions possibles. Ce blogue est le premier d’une série de trois cherchant à explorer ces questions. Le 1er blogue examine les arguments liés à une offre insuffisante; le 2e blogue examinera ensuite le rôle de la demande et la nature de cette dernière. Le 3e blogue termine la série par une discussion sur des options de politiques à élaborer.

1re partie : L’insuffisance de l’offre est-elle la cause de l’évolution excessive des prix ?

Bon nombre d’analystes et de défenseurs de l’industrie du logement ont commenté sur la trajectoire des prix des habitations et affirment qu’il s’agit du résultat d’un niveau insuffisant de nouvelles constructions de logis par rapport à la croissance démographique. [1] En outre, ces personnes suggèrent que cette situation est, en grande partie, liée aux processus d’approbation de développement municipal, qui sont lents et ardus. D’ailleurs on a vu ces sentiments exprimés dans les récentes plateformes électorales qui proposaient d’augmenter l’offre et de cibler les municipalités dans le but d’accélérer les nouvelles constructions et de les développer, dans l’espoir que cela aiderait à contenir l’escalade des prix et ainsi permettre aux jeunes familles d’accéder à la propriété.

C’est un fait bien accepté que les marchés de l’immobilier sont caractérisés par une offre inélastique et une incapacité à intervenir lors de changements rapides dans la demande. En d’autres termes, cela prend un temps considérable, soit de 3 à 5 ans, pour planifier et bâtir de nouveaux logements, tandis que la migration (tant internationale que domestique) peut gonfler en peu de temps (p. ex. les villes de l’Alberta pendant le boom pétrolier). Ceci peut produire des flambées de prix à court terme. Toutefois, à long terme, si le marché n’échoue pas, l’offre devrait rattraper les niveaux de la demande.

L’idée qu’il existe un décalage est en grande partie fondée sur la croyance que des niveaux élevés d’immigration ont fait augmenter la population et que l’offre est demeurée à des niveaux inférieurs. Toutefois, les données n’appuient pas cette affirmation.

Dans le but de dissiper ce mythe, la présente évaluation se penche en premier lieu sur l’immigration et la population connexe, et la croissance des ménages. Ensuite, on compare ces données aux nouvelles constructions d’habitations.

Il est vrai que le Canada a augmenté ses objectifs d'immigration, ce qui a ajouté de nouveaux ménages. Au cours de la dernière décennie, la population du Canada a augmenté en moyenne de 412 000 personnes par an. Un peu plus d'un quart (26 %) est dû à l'accroissement naturel. Sur les trois autres quarts, un peu plus des deux tiers proviennent de l'immigration nette (56 % de la croissance démographique). La composante la plus notable est celle des résidents non permanents (NPR) - qui comprend les travailleurs étrangers temporaires et, de plus en plus, les étudiants étrangers. [2]

Comme il est illustré dans le tableau ci-dessous, le nombre de résidents non permanents à sensiblement augmenté, particulièrement entre 2017 et 2020, période pendant laquelle les établissements d’enseignement post-secondaires ont tenté d’attirer des droits de scolarité étrangers lucratifs pour contrebalancer la réduction du financement gouvernemental. Ce groupe d’individus est significatif car, en raison de leur nature temporaire, il exerce un impact sur le marché locatif, plutôt que sur celui de la propriété. Cette situation peut toutefois changer si ces personnes deviennent résidents permanents. Ainsi, l’impact initial de ce groupe touche davantage l’inflation sur les loyers que celle du prix des propriétés.

La façon dont la croissance démographique (les personnes) exerce une influence sur la demande de logements et le type de la demande est aussi un facteur important. Dans la décennie entre 2006 et 2016, la population du Canada s’est accrue de 17,1 %; toutefois, le nombre de ménages a augmenté à un rythme plus lent, soit 13,2 %.

Ceci s’est produit car le nombre moyen de personnes par ménage a augmenté. [3] L’un des facteurs déterminants provient du fait que l’on a ajouté des familles et que nous avons perdu des personnes âgées – une tendance qui devrait se poursuivre alors que les baby boomers vieillissent. En outre, certains parents face à un nid vide choisissent de vivre dans des habitations plus petites, ils libèrent donc des demeures familiales plus grandes au profit de jeunes familles, créant ainsi un ajustement dans les exigences en logement.

Voici les données importantes à retenir :

  • Entre 2006 et 2016, le nombre de ménages au Canada a augmenté en moyenne de 163 000 par année.
  • Par comparaison, le nombre de nouvelles constructions au cours de la même période se chiffrait à 1,92 million d’habitations, soit une moyenne de 191 900 par année.

Cette comparaison ne tient pas compte de l’impact des démolitions ou de la perte de domiciles existants. Les données sur les permis de démolition d’immeuble sont rares, mais elles suggèrent qu’il s’agit d’un nombre négligeable. [4] Qui plus est, ces chiffres ne tiennent pas compte des unités de villégiature temporaires, offertes sur des sites tels que Airbnb, ce qui élimine des unités résidentielles. Donc, dans plusieurs villes (et particulièrement dans la région du Grand Toronto) il peut y avoir un certain degré d’insuffisance d’offre, mais cela n’est pas le cas dans d’autres, qui ont vu une flambée des prix persistante.

Contrairement aux arguments affirmant que nous enregistrons une pénurie d’habitations cumulée, il y avait déjà un relâchement dans le système. En 2016, le recensement rapportait un décompte des habitations se chiffrant à 15,4 millions. Seulement 14,1 millions de ces logements étaient occupés. Ceci signifie que 1,3 million d’habitations, soit 9 % du stock, étaient vacantes et prêtes à répondre à la demande.[5]

Ceci révèle qu’à l’échelle nationale, les nouvelles constructions de logis jusqu’en 2016 ont bien dépassé la croissance des ménages, et ainsi la demande, par près de 30 000 unités par année. Par ailleurs, cela réfute l’explication que le prix des habitations a augmenté entre 2006 et 2016 en raison d’une insuffisance de l’offre.

En reconnaissant qu’il y a un nombre disproportionné d’immigrants internationaux qui visent les grands centres urbains, un examen de l'évolution de la croissance des ménages par rapport à la construction de nouveaux logements au niveau local (entre 2006 et 2016) révèle des résultats très mitigés. À Vancouver, Toronto et Montréal, l’achèvement de nouvelles habitations dépassait la croissance des ménages par 19 %, 1 % et 4 % respectivement. Ce n’est qu’à Ottawa que l’on a enregistré un déficit (3 %) de logis par rapport au nombre de ménages. En se fiant à ces données, si l’offre était le moteur principal, les prix auraient dû augmenter plus rapidement à Ottawa et plus lentement à Vancouver. Toutefois, la tendance des prix a augmenté par seulement 47 % à Ottawa, tandis qu’à Vancouver et Toronto les prix ont grimpé à raison de 97 %, confirmant ainsi qu’il existe des facteurs autres qu’un écart de l’offre qui entraient en jeu.

Les données pour 2021 ne sont pas encore publiées, mais on peut se servir des projections de la population et des ménages pour examiner la tendance au cours des cinq dernières années.

Pour les cinq ans depuis 2016, les données mentionnées précédemment sur les composantes de la croissance démographique identifient une hausse de la croissance annuelle de la population, ce qui aura nécessité la construction de logements supplémentaires.

Des projections antérieures sur la croissance des ménages, produites en 2015 par la SCHL, ont estimé le nombre total de ménages en 2016 jusqu’en 2036 selon des scénarios de taux de fécondité et d’immigration faibles, moyens et élevés.

La faible projection représentait un total de 14,7 millions de ménages, ce qui bien au-delà du chiffre du recensement de 2016, soit 14,07 millions.

En ignorant que la ligne de base (2016) est plus élevée que le dénombrement du recensement de 2016, voici la croissance anticipée entre 2016 et 2021, dans les trois scénarios estimant une croissance annuelle des ménages :

  • Faible 104,100
  • moyenne 170 700
  • élevée 241 000 

Les données probantes de 2006 à 2016 suggèrent que la projection de croissance élevée (241 000) est excessivement optimiste et même l’estimation moyenne est probablement trop élevée. Néanmoins, si l’on se fie à la projection moyenne, cela suggère un besoin de 170 000 logis par année. Par ailleurs, la moyenne par année des constructions qui ont eu lieu entre 2016 et juin 2021 se chiffre à 197 000 habitations.

Si l'on passe aux données sur les mises en chantier (plutôt que sur les achèvements, utilisés ci-dessus), qui constituent la réponse actuelle du marché, on constate une nette tendance à la hausse. En 2015, les mises en chantier annuelles totalisaient un peu plus de 180 000. Elles ont gravi à 202 600 en 2020, malgré les changements dans la chaîne d’approvisionnement en raison de la COVID-19. Dans les quatre trimestres allant du T3-2020 au T2-2021, les mises en chantier ont atteint un nouveau sommet de 238 000, confirmant ainsi que le marché intervient bel et bien lorsque la demande augmente.

Nous soulignons qu’il semble y avoir une offre adéquate de nouveaux logis, du moins au niveau national cumulé.

Il est tout à fait possible que ces données ne soient pas distribuées selon les différents taux de croissance des ménages des différents centres urbains. La migration internationale a tendance à se rassembler dans les grandes régions métropolitaines, il peut ainsi y avoir un certain écart, et cela pourrait contribuer en partie aux plus hauts taux d’escalade des prix à Vancouver et à Toronto.

Il pourrait y avoir aussi une différence dans le type et le prix d’habitations par rapport aux exigences d’un lieu donné. Il est certain que plusieurs familles aspirent à vivre dans une maison unifamiliale, toutefois les nouvelles constructions, particulièrement dans les centres urbains, où les coûts sont plus élevés, ajoutent davantage de petits appartements, voire exigus.

L'évolution des préférences pendant la pandémie de COVID-19 a mis en évidence cette question et, favorisée par le travail à domicile, a contribué à une banlieusardisation et une exurbanisation de la demande.

Ce qui est important à retenir ici, c’est que bien que la construction de nouveaux logis ne soit pas à la hauteur dans certaines villes, cela n’explique pas le schéma plus répandu des hausses de prix, ni les variations, telles qu’elles sont illustrées précédemment, pour les quatre principales régions métropolitaines.

Utilisation trompeuse du terme « offre de logements »

Un autre problème est la façon dont on emploie l’expression « offre de logements ». On entend souvent parler dans les médias de la faible offre de logements. Il s’agit toutefois d’un concept qui diffère des nouvelles constructions.

Dans l’analyse de la vente immobilière, cette expression est employée pour décrire le nombre (« l’offre ») d’habitations à vendre, ou plus précisément l’inventaire des inscriptions immobilières. Lorsqu’il y a plus de ménages qui recherchent une habitation par rapport à ceux qui cherchent à vendre, y compris les nouvelles constructions, ceci crée un décalage et exerce une pression sur les prix. Ce phénomène a été amplifié par la réticence durant la pandémie à vendre sa maison, juxtaposé à une évolution des préférences envers les maisons unifamiliales afin de fournir l’espace nécessaire pour le travail à domicile.

Le manque d’inscriptions immobilières constitue une différente cause de « sous offre ». Bien qu’élargir le nombre de nouvelles constructions puisse ajouter à l’éventail de choix, il s’agit d’un processus à retardement. La COVID-19 a engendré une flambée temporaire de la demande, mais il était impossible d’accélérer la construction. Par ailleurs, les activités de construction dans certaines régions ont été ralenties en raison des protocoles de sécurité. Toutefois, comme il est mentionné plus haut, les mises en chantier au pays augmentent et atteignent des niveaux records, il est donc possible de rattraper cette demande.

Implications pour l’élaboration de politiques

Dans l’ensemble, les données probantes révèlent qu’il existe un niveau suffisant de nouvelles constructions d’habitations (à l’exception peut-être de quelques villes), mais il y a un faible nombre d’inscriptions immobilières sur le marché. Il est aussi possible que les nouvelles constructions ne correspondent pas au genre de logis ni à la superficie recherchés, qu’elles ne se situent pas dans des endroits désirables, ni offertes à des prix abordables. Dans les années précédant la COVID-19, on a vu un déclin des taux d’inoccupation dans le secteur des logements locatifs, plus particulièrement dans les petites villes universitaires, en raison de l’augmentation du nombre d’étudiants étrangers qui sont résidents non permanents. Il y a donc des problèmes d’offre, mais la quantité de l’offre n’est pas le principal problème. Ce n’est pas non plus la principale cause de l’escalade du prix des habitations (bien qu’il s’agisse de loyers).

Quoique l’immigration ait ralenti considérablement en raison de la fermeture des frontières durant la pandémie, elle reprendra son cours; il y aura donc une demande accrue pour des logements. Toutefois, les immigrants, et plus particulièrement une proportion significative constituée de résidents non permanents, rechercheront des logements locatifs plutôt que de procéder à l’achat immédiat d’une propriété. On prévoit que la pression sur les prix sera plus forte sur la portion locative du système d’habitation et aura un effet plus modeste sur le prix d’achat des maisons (sauf les achats par des investisseurs).  

Un autre aspect de l’argument en faveur de l’insuffisance de l’offre est que cela a tendance à tenir les règlements municipaux et le processus d’approbation responsables des problèmes d’expansion de l’offre. Il existe bien peu de discussions sur les autres facteurs dans la chaîne d’approvisionnement. Dans chaque marché local, existe-t-il une offre suffisante de terrains, de travailleurs qualifiés et de matériaux pour favoriser l’expansion de l’offre?

Pendant la COVID-19, on a vu une recrudescence des activités de rénovation qui ont produit une pénurie de bois d’œuvre et un gonflement des prix. Si l’on tente d’augmenter considérablement le nombre de nouvelles constructions, on sera confronté à des problèmes de chaîne d’approvisionnement, et plutôt que d’améliorer l’accessibilité financière, cela pourrait contribuer à une flambée des prix. [6]

Face à la demande d'un petit groupe d'acheteurs bien dotés, armés d'une capacité de paiement excessive, les prix passeront à un niveau que le marché peut supporter.

Augmenter l’offre ne mène pas nécessairement à des coûts plus faibles ni à une offre plus abordable. L’enjeu principal qui fait grimper les prix, comme nous en discuterons dans la deuxième partie de ce blogue, est la nature de la demande et l’impact d’un pouvoir d’achat « suralimenté », rendu possible par l’accumulation de fonds propres, des revenus plus élevés et des taux hypothécaires historiquement bas.


[1] Par exemple, L’estimation du déficit structurel du logement au Canada : manque-t-il 100 000 logements ou près de deux millions ? Publications économiques de la Banque Scotia; mai 2021.

[2] Un résident non permanent est une personne qui vit légalement au Canada de façon temporaire, sous l’autorité d’un document valide (un permis de travail, un permis d’études, un permis ministériel ou de réfugié) émis pour cette personne et les membres de sa famille avec lesquels elle demeure.

[3] La taille moyenne des ménages est passée de 2,41 (2006) à 2,50 (2016), ce qui confirme que l’utilisation de logements par habitant, telle qu’utilisée dans le mémoire de la Banque Scotia, est imprécise., est imprécis.

[4] Statistiques Canada. Tableau 34-10-0066-01 (Permis de bâtir, par type de structure et type de travaux). Le nombre total des démolitions représente vraisemblablement 5 % du total des mises en chantier, ce qui réduit ou élimine l’écart entre les nouveaux ménages et les nouvelles habitations dans certaines villes, notamment à Toronto.

[5]Ce chiffre constitue une augmentation par rapport aux 1,14 million de logements inoccupés (8 %) en 2006. Certains pourraient comprendre des habitations de villégiature, d’autres des unités vacantes appartenant à des investisseurs, ciblées par une taxe de logement vacant, ainsi que des logements locatifs à court terme.

[6]En Australie, où l’on rapporte des flambées de prix d’habitation similaires, le gouvernement fédéral a introduit un stimulus pour élargir l’offre. Le résultat fut une grave pénurie de bois d’œuvre et une inflation de son coût, ce qui cause de plus grandes hausses du prix des habitations, sans contribuer à le stabiliser ou en réduire l’augmentation. https://www.abc.net.au/news/2021-06-21/australia-victoria-housing-building-boom-timber-supplies-cost/100229612